1663 : Face aux Feux du Soleil
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 Mélancolie d'un conte de fée naufragé [Vaux]

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Prince de Savoie-Carignan
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Prince de Savoie-Carignan


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Mélancolie d'un conte de fée naufragé [Vaux] Empty
MessageSujet: Mélancolie d'un conte de fée naufragé [Vaux]   Mélancolie d'un conte de fée naufragé [Vaux] EmptyMer Avr 05 2006, 21:51

Le songe de pierre du Surintendant sommeillait encore dans la brume matinale lorsque deux carrosses richement harnachés se présentèrent aux grilles du domaine de Vaux. L’un des cavaliers formant l’escorte princière présenta un document cacheté au garde somnolant à l’entrée, et les lourdes grilles de fer forgé s’ébranlèrent. Le cortège s’engagea alors dans l’allée centrale menant au château.

Confortablement installé dans son carrosse capitonné de pourpre, le Prince méditait, ses deux félins assoupis à ses pieds. La journée d’hier avait été riche en évènements : d’abord son arrivée triomphale à la Cour, puis sa petite victoire rhétorique contre le roi, la rencontre avec Héloïse… Sans parler de la loterie du soir ! Seule la présence plus que gênante de ce mousquetaire pâmé aux pieds d’Héloïse en avait quelque peu terni l’éclat. La joute verbale avec ce mousquetaire « condéicide » avait été particulièrement jouissive… et l’effet recherché avait été obtenu... Enfin, son départ remarqué, le Prince de Condé à sa suite, avait été une véritable apothéose ! Grâce à sa manœuvre, il venait de se faire un allié de poids dans la jungle de Fontainebleau. Un allié qui, lorsqu’il l’avait quitté une heure plus tôt, ronflait toujours bruyamment dans son baldaquin. François-Xavier se fit l’espace d’une seconde la réflexion qu’il n’était peut-être pas tout à fait décent de s’éclipser de chez soi, abandonnant un tel hôte de marque aux bons soins du personnel. Mais tous comptes faits, il n’était pas là pour jouer les nourrices et servir de valet de chambre à un homme, fut-il premier prince de sang : une affaire bien plus importante l’attendait à Vaux-le-Vicomte.

A mesure que le cortège avançait, de splendides bâtiments de brique rouge émergeaient des brumes. A en juger par leur longueur, il devait s'agir des anciens Communs. L'attention du Prince fut captée quelques instants par une fenêtre du premier étage derrière laquelle une ombre noire portant un bougeoir semblait fixer le carrosse. C'était sans doute la recluse de ces lieux, celle que la totale déchéance de son époux avait fait qualifier de Veuve Fouquet. Manifestement, elle avait souhaité s’éloigner du faste douloureux du château. Sa présence ne devrait pas poser de problème particulier. Bien sûr, il lui faudrait s’habituer à vivre au beau milieu des légions de domestiques déjà prévues par le Prince pour son service. Il n’allait tout de même pas les loger dans le château ! Avec un peu de chance, l’éplorée s’en irait hanter un autre lieu, humiliée par le changement de propriétaire du rêve de son époux. Pourquoi ne pourrait-elle pas par la même occasion entrer en religion ? Ce n’était certes pas la pauvre femme d’un disgracié qui allait entraver ses projets !

Plus le convoi avançait, plus les signes de l’abandon devenaient tangibles. Ce qui avait jadis été de superbes parterres de fleurs n’étaient plus aujourd’hui que des taches vaguement rectilignes envahies par les herbes folles. A l’évidence, personne n’avait songé à maintenir l’illusion de la grandeur d’antan.

Soudain, une masse sombre et brumeuse se découpa dans le lointain, grossissant de seconde en seconde. Echoué au beau milieu d’un bassin artificiel, le château de Vaux-le-Vicomte dressait sa mélancolique silhouette. Quelle tragique histoire que celle de ce palais de contes de fée, abandonné quelques jours seulement après son achèvement…

La petite troupe s’engagea sur le pont enjambant les douves, avant de se heurter à une grille cadenassée barrant l’accès à la Cour d’honneur. L’un des hommes descendit de cheval et brisa la lourde chaîne à l’aide d’une impressionnante paire de cisailles. Le Prince avait tout prévu. Débarrassé de cet obstacle, le cortège pénétra dans la cour faisant face au château, et s’immobilisa aux pieds des marches donnant accès à l’entrée. Le petit page grelottant aux côtés du cocher mit pied à terre et actionna la poignée de la portière. Le Prince Farnese de Savoie-Carignan en sortit et plus enfin contempler à loisir sa nouvelle acquisition.

La jalousie du roi vis-à-vis du présomptueux Fouquet se justifiait pleinement : ce palais surclassait de très loin Fontainebleau et le Palais Royal réunis ! Quant au petit château de cartes de Versailles, il semblait tout simplement risible comparé au joyau de Vaux. L’ensemble témoignait d’une harmonie parfaite, tant au niveau de l’architecture qu’à celui du génie esthétique enfermé au cœur des pierres. Le colossal dôme lui tenant lieu de coiffe achevait de le rendre inimitable. Pourtant, ces deux longues années de déchéance avaient laissé ses profondes stigmates sur la physionomie du palais. Les herbes folles étalaient leurs ramifications sauvages sur le sol, et avaient à certains endroits commencé l’invasion du mur. L’action du temps avait par endroits noirci la façade dont l’étonnante proportion de fenêtres brisées donnaient à l’édifice un aspect fantomatique, presque hanté… Le roi avait allégrement pillé Vaux, et avait réparti ses trésors dans ses différents palais. L’extraordinaire collection d’orangers en pot de Fouquet avait ainsi été transférée au Palais-Royal et à Fontainebleau. Quelle belle vengeance pour le roi que de s’approprier ainsi les richesses de son insolent intendant ! Si la quasi-totalité des fenêtres était brisée, il n’était guère inimaginable de penser qu’il s’agissait là de l’œuvre des transporteurs… discrètement aiguillés par le roi en personne !

Pendant que le Prince se laissait aller à ces quelques considérations, sa troupe avait mis pied à terre, et venait de briser les scellés interdisant l’accès au château. Elle s’effaça devant son maître qui pénétra dans un somptueux vestibule, vaste pièce carrée ornée de douze colonnes doriques.

Un froid glacial transperça le Prince alors qu’il s’avançait sur le sol de marbre. Ouvert aux quatre vents depuis si longtemps, Vaux lui rappelait presque la toundra sibérienne… Une épaisse couche de poussière formait un vaste tapis blanchâtre sur le sol dallé. Elle enrobait également les rares vestiges délaissés par la fureur royale : deux statues d’athlètes en marbre antique… Les murs portaient encore la marque des splendides tapisseries dessinées par Le Brun… tapisseries qui décoraient à présent les appartements de Colbert !

Le petit groupe s’avança alors vers les triples voûtes donnant accès à la pièce la plus fascinante de tout le palais de Vaux : le Grand Salon.

Pourtant rompu à la démesure, le prince Farnese de Savoie-Carignan ne put s’empêcher d’être ébloui par les extraordinaires proportions de cette pièce, dont la colossale coupole culminait à dix-huit mètres du sol ! Des caryatides sculptées par le Maître Girardon, aux colonnes de porphyre rose, tout concourrait ici au plaisir de l'oeil. Nicolas Fouquet n’avait pas versé dans la demi-mesure : rien n’avait été trop beau. Seul bémol : les travaux de la fresque de la coupole avait été stoppés par l’arrestation du Surintendant, laissant un plafond désespérément vide, gigantesque œil sombre injuriant le faste du salon. Le Prince s’avança vers les portes fenêtre donnant accès au parc. Un spectacle de désolation s’offrit à ses yeux : ces jardins jadis hors norme donnaient à présent l’image d’un champ de bataille, cauchemar végétal né de l’esprit d’un démiurge dément. L’Ordre en avait été banni. Des superbes compositions de Le Nôtre il ne restait plus que des allées envahies par la mauvaise herbe, des bassins regorgeant d’eau croupie, des statues brisées par quelque vagabond…

L’inspection intégrale du château ne fit que confirmer cette impression de délabrement. Le saccage semblait avoir présidé lors du démantèlement du domaine : tapisseries arrachées, meubles déplacés, tableaux transférés, parquets souillés, vitres brisées… Tout cela témoignait d’une volonté imperturbable, maniaque même, d’effacer à jamais l’image du présomptueux Fouquet. Comble du comble : un chien errant avait élu domicile sur la couche du Surintendant !

Un tel spectacle aurait terrorisé n’importe quel propriétaire un tant soit peu sensé. La remise en état de ce capharnaüm allait coûter des millions… Pourtant, le Prince ne semblait pas s’en émouvoir. Pire, un agaçant sourire semblait s’étirer de seconde en seconde sur ses lèvres. A ses côtés, l’occupant du second carrosse affichait une mine cadavérique, jetant incessamment un œil aux notes prises durant la visite. N’y tenant plus, il s’adressa à son maître :


Votre Altesse, c’est une pure folie ! Ce château est une ruine ! Sa restauration va vous coûter des millions! Autant remettre en état le fief de Montségur !

François-Xavier jeta un œil amusé à ce vieux baron russe à qui il avait confié la gestion de ses considérables finances.

Allons Vladimir ! Vous exagérez, comme toujours d'ailleurs... Auriez-vous oublié ce dont nous avons été tous les deux capables par le passé ? Le Palais Nobokoff ! La Chapelle Pagliestri ! Le Manoir Van Conrad ! Et j’en passe ! Vous me promettez la ruine depuis mes dix-huit ans, or, force est de constater que mes finances sont florissantes ! Mais, trêve de balivernes, je veux que les travaux commencent aujourd’hui même. Vous avez carte blanche: dépensez sans compter.

Dépenser sans compter? Quel surprenant paradoxe pour un Intendant!

Vladimir sentit son coeur se décrocher et chuter au fond de ses souliers.

Mais, Votre Altesse, vous n’y pensez pas, bondit-il. Il nous faudra bien davantage de temps pour tout mettre en œuvre !

Je ne reviens jamais sur une décision Vladimir, vous devriez le savoir. La remise en état et les améliorations à apporter doivent commencer aujourd’hui même. Vous avez deux mois pour transformer cette loque fangeuse en joyau.

Le malheureux Vladimir se sentit partir… Il était certes habitué aux caprices démesurés du Prince, mais là, ce nouveau projet dépassait de très loin les précédents. Métamorphoser Vaux en deux mois relevait du pur miracle. Pourtant, il n’avait pas le choix. Il tenta tout de même l’objection de la dernière chance.

Votre Altesse, jamais nous ne pourrons trouver un nombre d’ouvriers suffisant pour mener à bien un tel chantier dans le temps imparti ! La majeure partie des bras disponibles travaille déjà pour le roi à Versailles !

Imperturbable, François-Xavier se retourna lentement vers son Intendant, un large sourire aux lèvres.

Mais c’est très simple mon cher Vladimir. Je veux un chantier permanent, actif jour et nuit. Combien touche un ouvrier versaillais? Huit? Neuf sols par jour? Faites partir sur l’heure des envoyés aux quatre coins du royaume: je paierai dix sols de l'heure tout ouvrier acceptant de travailler à Vaux !

S’en était trop pour Vladimir qui poussa un long gémissement plaintif en s’arrachant les rares cheveux que la Nature avait daigné laisser sur son pauvre crâne.

Seigneur, le roi ne nous pardonnera jamais cet affront… Nous allons détourner sa propre main d'oeuvre...

Allons donc! Nous sommes les chantres d’un commerce un peu plus évolué, voilà tout ! Bien, je vous laisse. Des affaires importantes m’appellent à la Cour. Je reviendrai demain matin, et j’exige du changement ! Pour ce qui est de nos « aménagements », nous en avons déjà discuté. Seuls nos hommes devront en être responsables.

Le Prince fit quelques pas en direction de la sortie, avant de se retourner vers Vladimir, l’air goguenard :

A propos, Son Altesse Royale m’offre gracieusement quelques hommes de son cru pour m’aider dans mon entreprise. Vous prendrez soin de les affecter à l’érection des clôtures sud, aux confins du domaine…

Sur ces dernières paroles, le Prince descendit quatre à quatre les marches du palais, ses tigres sur les talons, grimpa dans son carrosse et le lança au grand galop en direction de Fontainebleau, laissant derrière lui, seul au milieu du Grand Salon vide, son malheureux Intendant.

(Suite... L'antichambre)
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