[E.T. ... Téléphone... Mai-son !]
Si le Prince de Savoie Carignan se voyait comme un funambule bulgare, Racine, de son côté, s'imaginait plutôt au milieu d'une arène romaine... Remplie de fauves sanguinaires ! Et dans cette berline, il y en avait trois. Les deux tigres qui semblaient presque inoffensifs en comparaison à leur maître. Il avait l'art et la manière de glacer une ambiance, de vous faire plier à sa volonté, et ce, sans prononcer le moindre mot.
On sait pourtant que Racine n'a pas la langue dans sa poche. Surtout lorsqu'il est plongé dans un état de nervosité intense. Et c'est ce qui se passait : Tout bouillonnait à l'intérieur de lui. Il avait chaud, puis froid, ne trouvait aucune position confortable, aucun bon mot pour briser ce silence qu'il ne se sentait pas forcément le droit de briser, n'osait même pas jeter le moindre regard dans la direction de François-Xavier, ni vers tout ce qu'il touchait.
Si bien que le voyage se fit, en effet, dans un silence quasi religieux (Le Dramaturge entendait presque la marche funèbre, sauf qu'elle n'est pas encore composée, mais il est comme Jeanne d'Arc, il entend des voix...), ponctué par la respiration lourde des deux tigres blancs, ce qui tendait encore plus notre pauvre disgrâcié !
Alors, quand on put enfin sortir du cocon pas du tout protecteur que constituait le carrosse, elle l'émerveilla. Elle. La Mer. Il ne fit qu'acquiescer aux deux remarques du Prince, trop enchanté du spectacle s'étendant devant lui. C'était comme une belle femme nue, allongée, qui fait semblant de somnoler et s'offre à la vue d'un homme qui ne devrait pas être là. Racine aurait voulu y plonger, tout de suite. S'élancer et mourir dans les bras aquatiques de la belle Méditerranée. Seulement, un tel acte l'aurait définitivement catalogué dans l'immense liste des fous du 17ème siècle ce qu'il ne souhaitait point. Il était déjà banni du domaine royal, il ne manquait plus que la démence à son pedigrée ! Que laisserait-il donc dans les mémoires ?
Il détacha enfin ses pupilles de l'immensité bleue et constata qu'ils étaient plutôt entourés ! Des valets en batterie... Et un bateau. Si on pouvait appeler cette chose un "bateau". Un monstre prêt à braver les flots et les tempêtes oui ! Il suivit son guide, avec promptitude.
Il salua bien bas l'amiral... Ne réalisant la valeur de ce choix qu'après la question de Savoie-Carignan. Que... Comment... Quoi ? MOYEN DE TRANSPORT ?! Parce qu'il fallait qu'il reste dedans ? Donc il avait bien fait d'en fait des tonnes avec Corsini. Toujours flatter celui dont va dépendre votre vie !
Le visage de Racine se décomposa complètement. Il déglutit, très lentement et essaya de sortir un son intelligent qui se borna à :
- Oui.
Il sursauta, un bruit effroyable venait de retentir. Déjà, la rive s'éloignait. Où l'emmenait-il ? Lui qui n'avait jamais dépassé Port-Royal des Champs !
